Histoires à travers le monde : coup de projecteur sur Berlin
Berlin est l'une des villes figurant sur notre carte des histoires sans voiture, qui célèbre les nombreuses villes qui prennent des mesures audacieuses pour retirer les voitures de la circulation. Dans ce billet, nous examinons la manière dont Berlin a catalysé l'action en faveur du vélo au cours des dernières années...
Ce sont d’abord les villes hollandaises et scandinaves qui viennent à l’esprit quand il s’agit de vélo. Pourtant Berlin, où seule une personne sur trois possède une voiture, peut aussi prétendre au titre de ville à vélos, la majorité des habitants étant des cyclistes.
La récente loi sur la mobilité et la nouvelle législation en faveur des piétons visent à accélérer la transition vers l’usage des transports publics, le vélo et la marche. Transition appuyée par l’activisme des habitants qui militent en faveur d’un plan de transformation plus ambitieux visant la sortie des derniers usages de la voiture, pour une ville plus saine et plus accueillante.
Cette volonté populaire de changement est motivée par des causes partagées :
La pollution — Berlin souffre de la pollution de l’air. Selon les chiffres officiels, en 2020, la valeur limite annuelle de la pollution au dioxyde d’azote (NO2) a été franchie pour 117 tronçons de rues. L’exposition au NO2 est responsable de maladies pulmonaires chroniques et d’autres affections respiratoires. Les trois quarts de la pollution au NO2 à Berlin sont causés par les moteurs à essence et à diésel, les voitures et les camions.
Les embouteillages — La tendance profondément ancrée à privilégier la voiture est l’autre raison qui pousse les habitants à vouloir le chargement. Selon une enquête de 2014, plus de la moitié (58 %) de la zone ouverte au trafic de la ville est occupée par les voitures, bien que dans la zone centrale, desservie par le S-Bahn (système de transport interurbain allemand), moins d’un trajet sur cinq (17 %) soit effectué en voiture. Seule une très petite fraction de l’espace (3 %) est réservée aux vélos, alors que dans la zone desservie par le S-Bahn, les trajets sont effectués majoritairement à vélo. Les places de stationnement occupent à elles seules une surface de 17 km2, soit environ 20 fois plus d’espace que les vélos.
Mesures officielles
Pour remédier à cette situation, le Sénat de Berlin a adopté le projet de loi sur la mobilité en 2018. Cette loi devrait permettre de créer « un large réseau de pistes cyclables » qui longeront les principales artères de la ville et qui seront séparées de la route par des bornes, « là où l’espace le permettrait ». Un projet d’infrastructures pour vélos est également prévu comprenant des voies rapides pour vélos et des places de stationnement sécurisées. Par ailleurs, dix voies rapides cyclables, ainsi que des pistes larges sont programmées pour connecter le centre et la périphérie de la ville. L’électrification des bus est prévue pour 2030 et le covoiturage sera favorisé. La loi vise également la neutralité carbone dans le trafic routier à l’horizon 2045.
Une législation en faveur des piétons vient compléter ce projet de loi. Elle vise à renforcer le statut de piéton et à donner la priorité à la marche comme mode de déplacement. Elle comporte également un volet consacré à l’amélioration de la mobilité et des rues pour les adapter aux besoins des personnes porteuses de handicaps. Pour la première fois en Allemagne, la priorité donnée aux piétons serait inscrite dans la loi. Au Royaume-Uni, en comparaison, la priorité donnée aux piétons et aux cyclistes a été évoquée, en 2022, dans le cadre de l’actualisation du Code de la route. À Berlin, chaque arrondissement doit maintenant mettre en place un projet pilote, dans un délai de trois ans, indiquant les mesures concrètes qui seront introduites. Ces mesures comprendraient l’allongement du temps de passage des piétons aux feux verts, la multiplication du nombre de ces passages, la sécurisation des trajets scolaires, l’augmentation du nombre de bancs publics, l’abaissement des bordures de trottoir pour permettre aux fauteuils roulants une meilleure mobilité et le renforcement de la répression des infractions de stationnement et de la conduite dangereuse.
Les entreprises se mettent au vélo
La volonté de changement ne se limite pas à l’action municipale. Une partie importante de la pollution et de l’encombrement des villes est causée par ce qu’on appelle « le dernier kilomètre de livraison ». Depuis la montée en puissance du commerce en ligne, qui a connu une explosion pendant la pandémie et qui se maintient à un niveau élevé, les véhicules de livraison qui apportent les colis aux pieds des immeubles posent un énorme problème.
Mais la pandémie a aussi permis l’émergence d’une solution potentielle à ce problème : le vélo-cargo. Depuis 2018, un service de location gratuite de vélos-cargos est expérimenté à Berlin. Ce service s’appelle KoMoDo, acronyme inspiré du nom de ce réseau coopératif de micro dépôts qui proposent des conteneurs adaptés aux livraisons. Ce réseau collabore avec certaines des plus grandes entreprises de livraison implantées dans la ville, telles que Deutsche Post, DHL, DPD GLS, Hermes et UPS. Son objectif n’est pas seulement de tester la viabilité d’un système de livraison plus durable à Berlin, mais aussi d’élaborer des solutions susceptibles d’être appliquées dans d’autres villes. La phase de test de KoMoDo s’est couronnée de succès. L’entreprise DPD a ouvert son propre micro dépôt de vélos-cargos en janvier 2021.
La pandémie a favorisé le vélo
À l’instar d’autres villes, Berlin a adopté certaines mesures durant la pandémie de Covid-19 pour favoriser la mobilité, en plus des mesures de santé publique qui s’imposaient. On a ainsi vu le 2e arrondissement de la ville, Friedrichshain-Kreuzberg, mettre en place rapidement un remarquable réseau de 15 km de pistes cyclables temporaires. Mais, selon Dirk von Schneidemesser, de Changing Cities, Berlin devrait maintenant viser à créer au moins 250 km de pistes cyclables chaque année pour répondre aux objectifs de la loi sur la mobilité.
Plusieurs villes allemandes ont adopté le principe de « Verkehrswende », ou transformation de la mobilité. Pour Schneidemesser, cela signifie qu’il ne s’agit pas seulement de faciliter la vie aux piétons et aux cyclistes, mais aussi de s’attaquer au « royaume de l’automobile » et de supprimer les privilèges et les biais qui favorisent la voiture dans le système de transport. Selon lui, nous avons tellement intégré la place dominante de la voiture que notre perception est complètement déformée. Ainsi, un changement des mentalités et une nouvelle perspective sont nécessaires.
« La place privilégiée de la voiture est très ancienne, elle est profondément ancrée en nous. Nous la trouvons normale et justifiée. Tout changement est perçu comme une menace. Par exemple, il y a une seule chose vraiment autorisée dans les rues, qui occupent la majeure partie de l’espace public : la voiture ». Il précise que « lorsqu’une rue est ouverte pour divers des activités puissent y prendre place, socialisation, commerce, activités socioculturelles ou physiques, on parle de rue fermée. Fermée ! Donc, dans notre tête, quand on se trouve dans un espace où on peut s’adonner en sécurité à un large éventail d’activité, la rue est fermée, mais quand on peut uniquement y circuler en voiture, elle est ouverte ? »
Les bénéfices pour les familles modestes
Changer le système conçu pour les voitures aura de nombreux bénéfices pour les ménages les plus modestes à Berlin, mais aussi dans d’autres villes et métropoles. Les propriétaires de voitures sont parmi les habitants les plus riches, ils sont 44 % à posséder une ou plusieurs voitures, contre seulement 22 % des habitants ayant des revenus modestes. Les ménages dont le revenu net est inférieur à 500 euros possèdent en moyenne 0,2 voiture, contre 1,27 voiture, soit 6 fois plus, pour ceux dont le revenu net est supérieur à 5 600 euros.
Pédaler plus vite pour le changement
En dépit de l’action municipale, les changements ne sont pas suffisamment rapides pour les habitants qui ont mis en place la campagne Berlin Autofrei. Ils considèrent que les mesures d’application de la loi sur la mobilité et de la loi sur les piétons sont trop timides et ne permettant pas de résoudre la crise liée à la pollution et à l’encombrent dont souffre la ville. À Berlin, le groupe Berlin Autofrei a commencé à travailler sur les premières étapes d’un processus législatif basé sur le principe du référendum populaire. Ils ont, dans la première phase de leur campagne, soumis une pétition ayant réuni 50 000 signatures, visant à interdire les trajets en voiture non essentiels dans l’ensemble du centre de Berlin. Les cinq principes qui fondent Berlin Autofrei sont : améliorer la qualité de vie dans la ville, permettre à chacun une vie plus saine, donner plus d’espace à tous, augmenter la sécurité dans les rues de la ville et surtout, protéger le climat.
La convergence du soutien de principe apporté par les responsables pour renverser la vapeur, de l’innovation des entreprises et de la pression des citoyens fait de Berlin une référence pour ses efforts visant à devenir une ville sans voiture.